Avec Djibril, nous avons décidé de vous partager un extrait de sa biographie. Pourquoi cet extrait-là ? Parce qu’il est révélateur des conditions terribles expérimentées lors d’une migration. Parce que ça dit à quel point des personnes, que dis-je, des peuples sont désespérés par la situation vécue dans leur propre pays, désespérés au point de tout quitter et de mettre leur vie en danger. Si Djibril a pu continuer à avancer, c’est parce qu’il restait au fond de lui une petite parcelle d’espoir, une lumière qui le poussait à mettre un pied devant l’autre.
Début du chapitre 7, page 113. Note : au moment de cet épisode, Djibril n’a que 14 ans.
Après notre départ, tout le monde a jeté ses papiers à la mer, pour éviter d’être identifié en cas d’arrestation. (Pour ma part, je me suis abstenu.) Puis, nous avons commencé à prier. Musulmans, catholiques, juifs… La diversité de culte ne revêtait plus aucune espèce d’importance. Nous avons vogué toute la nuit. Atteint d’un fort mal de mer, je tenais le coup tant bien que mal.
Le lendemain, à dix heures, le bateau est tombé en panne d’essence… Notre passeur, peu scrupuleux (et resté à terre, bien entendu) avait omis de nous fournir en bidons de carburant. Il ne nous avait pas non plus dotés d’un téléphone de secours. La tension a commencé à monter, les cris à fuser. Terrifié, je me suis adressé à l’homme placé juste derrière moi : « Est-ce qu’on va tous mourir ? » À ma grande surprise, il m’a répondu en malien : « Non, on ne va pas mourir. » Quelques personnes se sont levées, puis d’autres, s’en prenant à notre conducteur de circonstance comme bouc émissaire. Une bagarre a éclaté ; l’homme a été jeté à l’eau. Le bruit de son agonie a résonné longtemps dans mes oreilles…
Notre bateau-suicide était à présent à la dérive.
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